Printemps silencieux de Rachel Carson
Il y a 50 ans, en 1962, elle a osé décrire ce que tout le monde sait et voit mais recouvre du linceul du déni, tissé de silence et d’oubli.
Les lanceurs d’alertes n’existaient pas à l’époque. En fait, si. Mais on les appelait plutôt des naturalistes ! Voir des écolos. Une étiquette déjà a connotation méprisante pour leurs détracteurs.
À la lecture de ce livre, finalement, le monde a changé, mais rien n’a changé. À part les questions d’échelles. Une lecture qui laisse pantois : tout est dit depuis plus de 60 ans, et tout continu comme si de rien n’était…
Les abeilles en savent quelques choses.
Quant aux comportements de l’espèce humaine, un précis de mondialisation ne sera pas nécessaire. Rien de nouveau, ou si peu.
Dans nos sociétés « modernes » on ne naît pas plus lanceurs d’alertes qu’écolos. On le devient par convictions. Ce fût le cas de Rachel Carson, née sous une bonne étoile, en 1907 en Pennsylvanie, Etats-Unis d’Amérique.
Sa mère Maria lui a transmis toutes les valeurs d’un important mouvement, tourné vers la nature, qui a vu le jour aux Etat-Unis à la fin du XIXe et au début du XXe. Prenant ses racines dans l’exode des ruraux vers les villes, ce mouvement souhaitait leur permettre de se ré-enraciner dans la nature, de recréer en eux une empathie pour la nature.
Enfant, les oiseaux étaient ses compagnons privilégiés mais sa fascination pour l’océan la dirige vers des formations de biologie marine, de zoologiste et de génétique.
Une vie familiale difficile l’amène a sacrifier son doctorat pour un poste d’enseignante. Elle est ensuite bien vite recrutée par futur US Fish and Wildlife Service. Elle met alors toutes ses compétences pédagogique, littéraire et scientifique au service de la promotion de la connaissance du monde marin.
Elle publie ainsi de nombreux articles scientifiques ou a destination du grand public. Puis ce sera une trilogie de livres salués par la critique et primé pour leur qualité littéraire et naturalistes : Sous le vent marin, en 1941, Cette mer qui nous entoure, en 1951 et enfin, Le bord de la mer, en 1955.
Après la boucherie de la seconde guerre mondiale et ses 60 millions de morts, Rachel Carlson va se trouver confrontée à un problème d’une toute autre ampleur. Parmi les nombreux « progrès » techniques issus de la guerre, les gazs de combat donnent naissance aux pesticides… Avec le célèbre DTT.
Une véritable guerre est alors déclarée au monde des insectes sur tout le territoire des Etats-Unis. Et dès 1943, l’agriculture s’empare de ces nouveaux produits. Présentés alors comme non seulement miraculeux mais aussi, soit disant totalement irréprochables pour l’homme et l’environnement…
L’épandage est réalisé grâce à des avions munis de pulvérisateurs et pilotés par des militaires démobilisés. Forêts, champs, villes, rivères, plages, tout est arrosé ! Peu importe ce qu’il y a dessous…
Technique toujours utilisée aujourd’hui pour le maïs, via des hélicos…
Il y a alors bien peu de monde pour conserver un regard critique envers ces agissements irresponsables. Mais avec de nombreux autres scientifiques, Rachel Carson observe la nature et les conséquences de ces arrosages. Elle est aux premières loges pour observer les dégâts qui déjà s’annoncent.
Les naturalistes de National Audubon Society qui mènent le combat, engage Rachel Carson. Des procès sont inténtés par les « arrosés ».
Et quatre ans plus tard, Rachel Carson publie Silent Spring (Printemps silencieux) en référence à la diminution déjà observable des oiseaux chanteurs…
Car si les hommes ne semblent pas souffrir dans l’immédiat de l’usage intensif des pesticides, c’est l’hécatombe chez les animaux, poissons, oiseaux, abeilles et autres insectes. Malgré le déni systématique qui est de mise, des scientifiques montrent l’action réelle de ces molécules miracles : mortalité élevé, cancers, baisse de la fertilité…
Les données scientifiques et statistiques s’accumulent de façon accablante. Rachel Carson sait que son livre ne va pas faire que des heureux…
Et effectivement, elle est traînée dans la boue et accusée de tous les péchés du monde. Entreprise de dénigrement qui continue aujourd’hui à l’occasion du cinquantenaire de la publication de son livre…
Pourtant son combat ne restera pas vain car en 1972, soit huit ans après sa mort, le DTT est interdit aux USA. Il s’agit d’une victoire historique d’un individu contre les lobbies de l’industrie chimique.
Mais aussi d’un des fondement du mouvement écologiste d’aujourd’hui ! Arne Naess, philosophe norvégien a qui l’on attribue l’invention de « l’écologie profonde » (Deep ecology), indique même que cette paternité revient de fait à Rachel Carson ! Greenpeace ou Les Amis de la Terre sont dans cette filiation.
Cependant, force est de constater qu’aujourd’hui les promoteurs de ces molécules, industries chimiques de tous poils, ont pris les précautions nécessaires : leurs « experts » sont partout.
Marie-Monique Robin, auteur entre autres du film « Le monde selon Monsanto », en a fait l’éclatante démonstration. Elle a d’ailleurs reçu le prix Rachel Carson.
Aujourd’hui, la question fondamentale posée il y a cinquante ans dans Printemps silencieux est malheureusement toujours d’actualité : le progrès, paradigme de notre époque, n’est-il pas pour le moins obsolète ?
Peux-on tout faire sans se questionner sur les conséquences de ces techniques sous prétexte que c’est pour le « bien » ? Ce qui à l’évidence ne protège pas du pire…
Les nombreuses molécules chimiques introduites à tout va dans la nature, l’industrie du nucléaire et l’incroyable déni démocratique et environnemental qui l’entoure en France, sont là pour nous rappeler que malheureusement, tout reste à faire.
Ainsi, Rachel Carson, véritable fondatrice de la conscience écologique, est un magnifique exemple pour les lanceurs d’alertes d’aujourd’hui. Mais aussi pour chacun d’entre nous.
Sources : Un superbe portrait de Christian Pacteau dans L’Oiseau Mag, la revue de la LPO, numéro 107, été 2012. Printemps silencieux, de Rachel Carson, version française.