Immortelle randonnée
« Immortelle randonnée, Compostelle malgré moi », de Jean-Christophe Rufin. Membre de l’Académie Française depuis 2008. Prix Goncourt pour « Rouge Brésil » en 2001. Il nous livre ici le récit de son Chemin de Saint-Jacques de Compostelle.
Il est bien rare qu’un livre consacrée à la randonnée se retrouve à la une des grands médias. Pourtant le battage dytirambique autour du livre de Jean-Christophe Rufin ne peut vous avoir échappé !
Honnêtement, et je ne sais trop pourquoi, ma perception de ce récit de voyage ayant pour thème le Chemin de Compostelle est cependant restée très mitigée…
Peut-être que les témoignages de vive voix que plusieurs randonneurs avec qui j’ai partagé un bout de chemin m’en ont fait, m’ont rendus sceptique, quand à ce célèbre itinéraire.
D’un autre côté, il y a le film de Coline Serreau, « Saint-Jacques – La Mecque », amusant et tout en finesse. Même si le « Chemin » reste une toile de fond pour l’histoire du film, l’ambiance et les petits soucis du randonneur sont très bien croqués.
Bref, comme d’autres nombreux titres patientaient déjà dans la pile de mes lectures à venir, je ne me suis pas précipité pour acheter l’ouvrage de Rufin.
Jusqu’au jour, où j’ai rencontré l’Immortelle randonnée trainant sur une table… La curiosité gagnant la partie, j’ai emboité le pas de notre randonneur d’acamédicien.
Mais pourquoi donc de si nombreuses personnes se lancent dans l’aventure ?
Voilà une question tout à fait pertinente concernant le Chemin de Compostelle. Et d’ailleurs, d’une façon plus générale, pourquoi donc partir marcher sur les chemins ?
Mais l’on reste sur sa faim en ce qui concerne les motivations de Rufin.
Dommage. Même si par la suite l’auteur décrit de façon amusante les mutations successives du pèlerin de Compostelle, au fil des kilomètres qui passent. Car, sur le « chemin », le randonneur parcours avant tout un chemin sacré. Un fil d’ariane qui se prolonge tout au long de ces pages.
Les premières étapes s’enchainent avec force détails sur les misères du randonneur. Ampoules, courbatures, fatigues, problèmes digestifs, lessive des chaussettes et rencontres d’un soir, hébergements sommaires et cohabitations difficiles avec les odeurs corporelles et les ronflements intempestifs des autres pèlerins sont au programme.
Franchement, monsieur l’académicien, cela reste au ras des pâquerettes ! Malgré une écriture facile et quelques anecdotes pittoresques, le chemin me semble long…
Reste bien sûr la narration des étapes et ce qui en égaye la monotonie.
Quelques nuitées sous la tente ont ainsi éclairées les souvenirs de l’auteur. Aubes et couchés de soleil au bord de la mer, paysages bucoliques, villages au charme ancestral. Mais aussi la laideur accomplie des fronts de mer surbâtis, les dégâts du tourisme de masse, les banlieues désertes et leurs lotissements tentaculaires, la pluie qui détrempe le moral du pèlerin. Et le petit business quotidien du pèlerinage.
Quelques pages sortent du lot. Telle cette rencontre sous un pont autoroutier d’un cavalier d’un autre âge. Une pause casse-croûte dans un café perdu, la visite impromptue d’une église oubliée.
Au détour d’une phrase, quelques considérations sur la liberté retrouvée du marcheur au long cours dans monde matérialiste et surencadré.
Et aussi cette digression sur l’influence du christianisme dans l’histoire des hommes. Car si ce n’est pas la foi qui mènent les pas de J.C. Rufin, le pèlerin n’échappe pas semble-t-il à l’influence mystique d’un chemin millénaire.
Viennent les Asturies qui marquent de leur empreinte le récit de J.-C. Rufin et lui délie la plume. Une note de bas de page parle de «valeurs de dépouilement, d’union avec la nature et d’épanouissement de soi .»
Une piste que j’aurais aimé voir l’auteur emprunter plus longuement.
Et puis, comme un couperet : « En partant pour Saint-Jacques, je ne cherchais rien et je l’ai trouvé. »
Bon… Ben, on est bien content !
Mais le sommet du chemin de Rufin se débusque au hasard. Une variante indiquée par une aubergiste dynamique et entreprenante. Une étape essentielle, bien qu’absente des guides, car « Jamais le monde ne m’avait paru aussi beau.» Ouah !
Rien cherché, rien trouvé, juste la beauté du monde. Pas mal !
A quelques encablures de Compostelle, le sac à dos, mochilla en espagnol, indissociable du randonneur, fait brusquement irruption dans les pages de ce récit. Et donne lieu à des réflexions sur la marche ultra-légère et son axiome de base : «Le poids, c’est la peur.»
Et voilà quelques pages qui méritent le détour. Comme cette scène du film de Coline Serreau, ou l’un des personnages se déleste avec joie de tout le fatras qui encombre inutilement son sac…
Le final, l’arrivée à Compostelle, brise, on s’en doute, la magie du Chemin. Entre le business des souvenirs et la foule des touristes, le pèlerin y perd son Chemin.
Reste les souvenirs.
Au final, ce récit de randonnée, bien ficelé, se lit sans ennui. Un peu comme un carnet d’étude consacré à une espèce bien particulière, le pélerinus compostellus. À une suite de croquis, d’instantanés sur « le Chemin ».
Sympa, facile à lire, parfois amusant, et quelques pages scintillantes un peu perdues au milieu du reste.
À l’image du Chemin, beaucoup d’étapes à oublier et quelques unes qui brillent dans le souvenir du pèlerin.
Mais franchement, une fois la dernière page parcourue, vous n’aurez aucun mal à passer à autre chose…
À partir sur les chemins, par exemple !