Almanach d’un comté des sables.
L’Almanach d’un comté des sables, d’Aldo Léopold. Un texte fondateur publié à titre posthume en 1949. Mais toujours totalement d’actualité !
Dans sa préface, Jean-Marie Le Clézio débute sans fioritures :
« Voici un livre que chacun devrait avoir avec soi, amoureux de la nature ou simple promeneur du dimanche, aventurier du retour à la terre ou sympathisant du mouvement écologiste, dans son sac ou sa bibliothèque…
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Le pouvoir de ce livre n’est pas seulement dans les idées. Il est avant tout dans la beauté de la langue, dans les images qu’il fait apparaître, dans la fraîcheur des sensations.
On pense à Thoreau dans sa retraite de Concord, à sa conviction presque mystique que le « salut du monde passe par l’état sauvage.» L’ « Almanach d’un comté des sables » révèle la permanence du monde, dans tous ses gestes et dans tous ses règnes…
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Le pouvoir de l’Almanach est dans la musique des mots qui fait surgir les odeurs, les couleurs, les frissons, dans tous ces noms qui écrivent le poème de la terre : la sauge, le sumac, la fleur de pasque…
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Malgré le temps écoulé, et nos désillusions quotidiennes, l’ « Almanach d’un comté des sables » a gardé aujourd’hui toute sa profondeur, toute son émotion.
Le regard prophétique qu’Aldo Léopold a porté sur notre monde contemporain n’a rien perdu de son acuité, et la semence de ses mots promet encore la magie des moissons futures.
Voilà un livre qui nous fait le plus grand bien.»
L’Almanach d’un comté des sables, publié la première fois à titre posthume en 1949, a placé au fil du temps, son auteur, Aldo Leopold aux côté de Thoreau, célèbre pour son « Walden » ou encore de Rachel Carson et son « Printemps silencieux ».
C’est donc bien un texte fondateur de l’écologie moderne que l’on tient entre ses mains. Un auteur lanceur d’alerte, selon l’expression du jour.
Encore une fois, qui peut encore oser dire que l’on ne savait pas ? Tout est dit depuis plus d’un demi siècle. À qui veut bien l’entendre…
Dans la première partie du livre, en égrainant les mois qui s’écoulent, Aldo Leopold nous décrit ses observations, ses réflexions, sur la nature et sa vie foisonnante. De janvier à décembre, une année s’écoule au rythme de sa ferme et de ses alentours, de son regard et de sa plume.
Une année au rythme de la nature. Sans courir. Une année où les saisons guident les pas du narrateur, ses actions, ses projets.
Dans la deuxième partie de l’Almanach, intitulée « Quelques croquis », l’auteur nous livre des morceaux choisis de ses observations dans différentes régions des Etats-Unis.
Où l’on découvre ce comté des sables qui a donné son titre au livre. Et une nature encore pas trop maltraitée, vu d’aujourd’hui. Déjà bien trop pour Aldo Leopold, au moment ou il écrit ces lignes. Il y a environ 65 ans.
Avant les trente glorieuses, qui’il faudrait peut être renommer les trente calamiteuses… ?
Dans la troisième et dernière partie du livre qui a pour titre « En fin de compte », Aldo Leopold nous livre ses réflexions à-propos des dégâts de la société contemporaine sur la nature.
Publié en 1949, sans doute quelques années après sa rédaction, ce texte n’a pas pris une ride. Bien au contraire.
Malheureusement…
Il y est question d’une éthique de la Terre.
L’auteur développe une approche qui pourrait être utilement reprise et discuté aujourd’hui, alors que le XXIè siècle est déjà bien engagé…
Impossible ici de résumer ici la totalité de son développement sans en appauvrir le sens. Quelques citations cependant.
« Une éthique, écologiquement parlant, est une limite imposée à la liberté d’agir dans la lutte pour l’existence. D’un point de vue philosophique, une éthique distingue entre les formes sociales et asociales de conduite.
Il s’agit de deux définitions différentes d’une même chose.
Cette chose a son origine dans la tendance des individus ou des groupes interdépendants à mettre au point des modes de coopération. L’écologiste les appelle symbioses.
La politique ou l’économie sont des symbioses avancées où la compétition primitive du chacun pour soi a été remplacée, en partie, par des mécanismes de coopération pourvus d’un contenu éthique.»
Je serai bien curieux de connaître la réactions d’Aldo Leopold devant ce qu’est aujourd’hui la politique et l’économie… !
A propos de la conscience écologique, et de ce que l’on appelle aujourd’hui l’éducation à l’environnement, expression qui porte en son sein, à mes yeux, l’aveu même de notre échec en la matière, Aldo Leopold, écrit ceci :
« Aucun changement éthique important ne s’est jamais produit sans un remaniement intime de nos loyautés, de nos affections, de nos centres d’intérêt et de nos convictions intellectuelles. La preuve que l’écologie n’a pas encore touché à ces fondements de notre conduite, c’est que la philosophie et la religion n’en ont pas encore entendu parler. Dans nos efforts pour rendre l’écologie facile, nous l’avons rendue dérisoire.»
Une pierre dans le jardin de beaucoup qui devrait nous amener à réfléchir différemment à notre approche de l’éducation à l’environnement.
Par exemple avec cette remarque : « Une éthique destinée à doubler et à orienter tout à la fois la relation économique à la Terre présuppose une image mentale de la Terre en tant que mécanisme biotique. Nous ne sommes potentiellement éthiques qu’en relation avec quelque chose que nous pouvons voir, sentir, comprendre, aimer d’une manière ou d’un autre.»
A l’heure des images satellitaires, de savoirs hyper développés jusqu’aux mécanismes intimes du vivants, d’une technoscience développée jusqu’à l’absurde, tel ces mini-robots volants destinés à remplacer les abeilles exterminées par notre usage aveugle des pesticides (dénoncé par Rachel Carson dans « Printemps silencieux » en 1962), savons nous (encore) aimer la Terre ?